dimanche 7 juin 2015

La réversion au coeur du débat de la retraite



Les pensions de réversion pèsent, en France, plus de 1,5 point de PIB. Elles jouent un rôle non négligeable dans le pouvoir d’achat des retraités en en particulier dans celui des femmes retraitées.

La pension de retraite est, en effet, constituée de droits directs liés à l’activité professionnelle exercée par l’assuré mais aussi de droits indirects ou dérivés issus de droits accumulés par une autre personne, essentiellement le conjoint. La réversion représente une dépense annuelle de près de 35 milliards d’euros soit 13 % de l’ensemble des dépenses de retraite.

Les femmes sont les principales bénéficiaires des pensions de réversion du fait de leur plus grande espérance de vie et de leur niveau de revenus plus faibles. En droits directs (sans pension de réversion…), elles perçoivent des retraites 40 % inférieures à celles des hommes, 987 euros contre 1 617 euros en 2012. La moyenne pour l’ensemble des retraités était 1282 euros bruts. L’écart homme / femme n’est plus que de 26 % en prenant en compte les droits dérivés (pension de réversion…). Au final, la pension moyenne, tous droits confondus est de 1265 euros pour les femmes contre 1713 euros pour les hommes (la moyenne étant à 1482 euros).


Sous les feux des projecteurs depuis des années, aux frontières de l’assistance et de l’assurance, le régime de la réversion fait l’objet d’une contestation d’autant plus forte que son coût est important. Avec la réduction de l’écart homme/femme au niveau des pensions, la tentation de diminuer le montant de la réversion s’accroît. Le Medef vient de proposer un système de réversion à option dans le cadre des négociations sur l’AGIRC et l’ARRCO pour équilibrer les régimes complémentaires au-delà de 2015. L’OCDE a également demandé à la France de clarifier le régime de la réversion. 




La réversion a contribué à améliorer sensiblement le niveau de vie de nombreuses  retraitées. 92 % des pensions de réversion sont versés à des femmes. Du fait de la montée en puissance du travail féminin, la réversion est vouée à jouer un moindre rôle d’ici 2060.
Les droits dérivés sans pension diminuent déjà depuis plusieurs années.

En 1975, le taux d’activité des femmes était de 53 % contre 84 % pour les hommes. En 2014, les taux respectifs sont de 67 % et 75 %.


Du fait de la progression de ce taux d’activité, les droits dérivés versés seuls, c’est-à-dire sans qu’une pension en droit direct soit versée,  tendent à diminuer d’année en année. En 2013, 63 173 attributions de droits dérivés sans versement de pensions en droit direct ont été comptabilisées contre 70 000 en 2003.

Néanmoins, au 31 décembre 2012, sur les 4,4 millions de personnes percevant une pension de retraite en droit dérivé, 1,1 million ne touchaient pas de pension de droit direct.


Entre 2014 et 2060, la masse des pensions de réversion rapportée au PIB devrait diminuer passant de plus de 1,6 % en 2014 à environ 1,1 % à 1,3 % du PIB en 2060 selon les scénarios retenus par le Conseil d’Orientation des Retraites.

Néanmoins, en euros constants, les pensions de réversion continueraient à augmenter du fait du vieillissement de la population. Leur coût passerait de 32 à 52/56 milliards d’euros.

Il n’en demeure pas moins que la masse des pensions de réversion rapportée à la masse globale des pensions (droits propres et réversions) passerait de 12 % à 8,8 % entre 2014 et 2060. En la matière, le risque d’erreur d’évaluation est assez faible.

Le nombre de pensions de réversion attribuées (supérieur au nombre de bénéficiaires de pension de réversion du fait des cotisants polypensionnés) serait globalement croissant sur la période de projection, passant de 5,5 millions à 6,8 millions. Pour autant, ce nombre rapporté au nombre total de droits attribués (droits propres et réversion) passerait de 21 % en 2014 à 17 % en 2060.

Au niveau du régime de base, la progression du nombre de pensions de réversion allouées devrait être faible au regard des pensions liquidées. Un million entre 2014 et 2060, contre presque 11 millions au titre des pensions de droits propres. La condition de ressources explique cette situation.

D’autres facteurs sont mis en avant pour expliquer cette faible croissance :

·       l’espérance de vie à 60 ans des hommes augmente plus vite que celle des femmes, retardant l’âge moyen de réversion et réduisant la durée moyenne de perception d’une pension réversion ;

·       le taux d’union par le mariage dans la population tend à diminuer au fil des années, alors que le Pacs n’est pas reconnu pour l’attribution de la réversion. Le taux de mariage passerait de 90 % pour les générations nées jusqu’en 1950 à 60% pour celles nées à partir de 1990 ;

·       l’écart d’âge entre les conjoints mariés tend à se réduire,  passant de 3 à 2 ans des années 50 aux années 2000. Les hommes verraient leur poids augmenté dans l’attribution des pensions de réversion. 14 % des bénéficiaires pourraient être en 2060 des hommes contre 8 % en 2014.



Tous les pays européens cherchent tout à la fois à réaliser des économies sur la réversion tout en assurant une plus grande neutralité entre les différents modes d’union et entre des bénéficiaires.

Le système de réversion français fait l’objet de critiques récurrentes. Il est jugé complexe, coûteux et pas totalement équitable. L’OCDE et la Commission européenne ont attiré l’attention des autorités françaises sur la nécessité de refonder ce dispositif. Le Conseil d’Orientation des Retraites a également proposé plusieurs pistes de réformes.

L’OCDE a ainsi souligné que le régime de réversion devrait être cantonné. Elle préconise l’instauration d’une cotisation spécifique permettant de financer les pensions de réversion ou la mise en œuvre d’un droit à option. Les assurés, au moment de la liquidation des droits, seraient amenés à indiquer s’ils souhaitent le cas échéant bénéficier d’une réversion. Cette proposition a été reprise par le MEDEF dans le cadre des négociations sur les régimes complémentaires.

1)    Faut-il placer l’ensemble des droits à réversion sous condition de ressources ?

Actuellement, seuls les droits des régimes de base sont soumis à condition de ressources. Les droits à réversion des régimes complémentaires rentrent dans une logique de patrimoniale. Ces droits permettent de maintenir le niveau de vie des conjoints survivants quels que soit le niveau des droits propres.
Si les partenaires sociaux plaçaient sous condition de ressources l’ensemble des droits à réversion, la logique de la redistribution l’emporterait. Une telle mesure qui ne pourrait s’appliquer que pour l’avenir suppose par ailleurs un réel rapprochement des pensions des femmes de celles des hommes.


L’augmentation du nombre de divorces qui interviennent à tout âge et de plus en plus après la cessation d’activité modifie le rapport à la réversion. Depuis plusieurs années, le Conseil d’Orientation des Retraites souhaite, sur ce sujet, une modification de la réglementation. Les personnes séparées à la suite d’une union hors mariage n’ont pas droit à la réversion, ce qui pose la question de l’extension de la réversion à d’autres formes d’union que le mariage.

Le COR demande une harmonisation des règles en cas de divorce et notamment celles portant sur les conditions de non-remariage. A juste titre, les membres du COR soulignent que les retraités vivant seuls après un divorce ou après une rupture d’une union hors mariage sont fréquemment confrontés à des problèmes de revenus. Il y a un risque d’augmentation du nombre de femmes retraitées en situation de précarité à la suite d’un divorce ou d’une séparation car les personnes divorcées ne perçoivent pas de pension de réversion tant que leur ex-époux n’est pas décédé. Certains sont tentés d’instituer, sur le modèle de ce qui se pratique en Europe du Nord, un partage des droits entre conjoints divorcés.

Les règles en vigueur en cas de remariage

Le législateur, avec la loi du 17 juillet 1978, a adapté le régime de la réversion afin de prendre en compte les conséquences des divorces. Cette loi garantit que, dans les régimes de base, les personnes divorcées et non remariées bénéficient d’un droit à réversion en provenance de l’ex-époux décédé, même si ce dernier s’est remarié après le divorce.

La loi de 1978 a fixé des règles sur le partage de la réversion entre plusieurs ex-conjoints successifs tout en ne réglant pas totalement la question de la proratisation des pensions de réversion en cas de divorce. Cette loi a prévu qu’en cas de remariage de l’ex-conjoint décédé la réversion est partagée entre les différents conjoints ou ex-conjoints au prorata de leur durée de mariage, et ce quel que soit le régime d’affiliation. En revanche elle n’a pas fixé les règles à appliquer si l’ex-conjoint décédé ne s’était pas remarié. Dans ce cas, la plupart des régimes de base accordent alors une réversion pleine, tandis que les régimes complémentaires ARRCO et AGIRC accordent une réversion proratisée par le ratio entre la durée du mariage dissout par le divorce et la durée d’assurance de l’ex-conjoint décédé.






Est-il en effet logique qu’une personne ayant vécu quelques années avec son ex-conjoint puisse toucher, en l’absence de remariage de celui-ci, la totalité de la pension de réversion ? Il pourrait être étudié un alignement des règles du régime général sur celles de l’AGIRC / ARRCO. Il suffirait d’amender la loi de 1978 afin qu’en cas de remariage de l’ex-époux, la réversion proratisée versée à chaque ex-conjoint soit rapportée à la durée du mariage et de d’assurance.
Cette question de proratisation peut se poser même en cas d’absence de divorce. En effet, en cas de décès intervenant peu de temps après le mariage, faut-il maintenir une pension de réversion complète au nom d’une solidarité conjugale ?

De même, la condition de non-remariage qui s’applique au sein des régimes spéciaux et complémentaires peut apparaître archaïque. Il faudrait passer à un système plus individualisé permettant de cumuler des fractions de réversion. Les droits à réversion seraient fonction de la durée de mariage.

4)    La problématique des unions hors mariage

La baisse continue du nombre de mariages remet en cause les principes mêmes de la réversion. Un tiers des moins de 30 ans pourrait ne pas bénéficier de droits à réversion du fait de l’absence de mariage ou de mariage tardif.

L’idée d’une extension de la réversion à d’autres formes d’union que le mariage a été envisagée par certains experts. La question du bénéficiaire de la réversion devrait être posée. Dans le cadre d’un PACS, ce serait le cosignataire du contrat enregistré devant un notaire ou au Tribunal d’instance. En cas d’union libre, il faudrait donc qu’un document puisse être enregistré avec le nom d’un bénéficiaire. Une telle extension suppose au préalable, sans nul doute, une proratisation complète de la réversion en fonction de la durée des périodes de vie commune.

Certains pourraient considérer que l’absence de devoir d’assistance entre personnes non-mariées est contradictoire avec le principe de réversion. Par ailleurs, une telle extension pourrait donner lieu à des unions de complaisance… Il n’en demeure pas moins qu’une telle solution serait en phase avec la logique de l’assurance-vie qui permet à l’assuré de choisir ses bénéficiaires.


Pour régler le problème de la réversion, plusieurs pays ont institué la conjugalisation des droits à retraite également appelée « partage des droits à la retraite » ou « splitting ».

Cette solution vise à corriger les inégalités de pension entre hommes et femmes et à régler le problème de la réversion ainsi que celui des revenus des conjoints en cas de divorce.

Cette conjugalisation regroupe plusieurs dispositifs. Le partage des droits peut concerner tous les couples, divorcés ou non, et ceux où un transfert de droits est opéré uniquement en cas de divorce. Dans ce dernier cas, le dispositif peut s’assimiler à une prestation compensatoire.

Le partage des droits à la retraite vise à rassembler les droits à retraite acquis par les deux conjoints pendant la durée du mariage et à les partager entre eux. Chaque conjoint obtient a priori la moitié des droits acquis par le couple. Ce partage peut être inégal avec l’introduction d’un coefficient visant à prendre en compte certains éléments (salaires, enfants à charge…),

Le partage des droits favorise le conjoint ayant eu les revenus professionnels les plus faibles. Il vise ainsi à neutraliser les éventuels choix de vie opérés dans le cadre du mariage.

L’avantage du partage des droits est la prise en compte d’une logique « patrimoniale ». En cas de divorce, les droits acquis pendant la durée du mariage sont partagés une fois pour toutes. Les questions de remariage, de conditions de ressources ne se posent plus. L’autre avantage est de faire financer la réversion non plus par la communauté mais par les assurés.

Le partage de droits s’applique dans des pays à forte tradition contractuelle à l’instar de l’Allemagne ou encore des pays d’Europe du Nord où le nombre de célibataires est important.

Pour faire évoluer en douceur le régime de la réversion, le COR avait proposé un système de partage des droits à option en s’inspirant du système allemand de « Rentensplitting ».

En France auraient avantage à opter pour ce système les femmes menacées par le plafond de ressources et les jeunes veuves afin de pouvoir acquérir les droits retraite de leur ménage et d’échapper à la contrainte du remariage.

Le législateur pourrait pénaliser progressivement la réversion simple en abaissant le taux et majorer, en contrepartie, les droits acquis dans le cadre du partage.

Le partage des droits serait assez intéressant pour les divorcés.

Le partage des droits améliorerait la situation des retraités après un divorce et neutraliserait les choix de vie (arrêt du travail pour l’éducation de ses enfants, travail à temps partiel…). Ces droits acquis seraient indépendants de l’évolution de la situation matrimoniale.

Le partage des droits en cas de divorce contribuerait à lutter contre la pauvreté des femmes divorcées vivant seules au moment de la retraite et dont l’ex-conjoint n’est pas décédé.

Ce système de partage des droits est assez simple à mettre en œuvre dans le cadre de régime par points ; en revanche, il est plus complexe à instituer dans le cadre d’un régime en annuités tel que nous le connaissons avec le régime général.

Pour échapper à ces problèmes techniques le transfert de droits pourrait en cas de divorce prendre la forme d’une rente à titre compensatoire. Sur décision du juge dans le cadre de la procédure de divorce, suivant l’exemple britannique, une pension à titre compensatoire pourrait être versée à partir de l’âge de la retraite. Le transfert de droits pourrait alors prendre soit la forme de transferts de points, dans le cadre de régimes en points, soit la forme d’un transfert opéré à la source sur la pension de la retraite.




Une proposition de loi en ce sens a été déposée à l’Assemblée Nationale le 22 juillet 2008. Elle modifiait l’article 271 du code civil en y ajoutant l’alinéa ainsi rédigé :

« Dans le cas où l’un des conjoints n’a pas exercé d’activité professionnelle pendant la durée du mariage, ou l’a interrompue, pour assurer l’éducation des enfants, le juge lui attribue une fraction des pensions à la retraite acquises par son conjoint. Cette fraction de la pension porte sur les droits personnels acquis dans les régimes de base et les régimes complémentaires auxquels l’assuré était affilié pendant le mariage. Elle est calculée en tenant compte de la durée de mariage et de celle de la période d’inactivité professionnelle liée à l’éducation des enfants. Le partage de la pension prend effet au moment de la liquidation des pensions jusqu’au décès de l’un des conjoints. »





* * *

Conclusion

La réversion, un élément fondamental du pacte social à moderniser


La réversion, par son coût, est évidemment au cœur des négociations sur la retraite depuis une vingtaine d’années. Dans un système qui se caractérise encore par la prédominance de la retraite masculine, la réversion apparaît comme un dispositif permettant aux retraitées veuves de maintenir un niveau décent de revenus après le décès de leur conjoint. L’évolution des comportements conjugaux et le rattrapage des pensions des femmes sur celles des hommes, même s’il demeure incomplet, imposent une réflexion qui dépasse de loin la simple question financière. Sans nul doute, il faut personnaliser le droit de la réversion en prenant en compte les divorces, les séparations, les remariages. L’harmonisation des règles entre régimes de base et régimes complémentaires serait une source de simplification. La grande question qui demeure à trancher et qui a été posée en ce début d’année 2015, c’est l’instauration d’un régime à option. La réversion a-t-elle vocation à rester dans l’espace de la mutualisation, de la solidarité ou doit-elle être un élément d’assurance volontaire ? Faut-il l’aligner sur les dispositifs existant dans les contrats d’épargne retraite ou faut-il lui conserver sa valeur universelle ? Plusieurs pays proches de la France ont choisi d’aller dans la direction de l’individualisation  quand d’autres ont préféré la conjugalisation des droits à la retraite.

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